Sacré Mélenchon. Inaudible sur la scène politique française, il vient se refaire la santé médiatique en s'attaquant à l'un de ses ennemis favoris, l’Église catholique. Profitant de la visite éclair à Strasbourg du pape François mardi 25 novembre, il adresse à ce dernier une « Lettre ouverte ».
D'entrée de jeu, histoire de ne pas décevoir ses fans, il attaque sa missive (à lire en intégralité) par un tonitruant « Monsieur le pape ». Il a du hésiter avec « Camarade Bergoglio ».
Son bienveillant « bienvenue en France » est vite éclipsé par le sujet majeur du courrier : sa protestation devant les discours prévus devant le Parlement européen et le Conseil de l'Europe.
Les choses étant posées, le militant tient à évoquer « ce qui nous rapproche au-delà de ma propre éducation initiale et de l’engagement de certains des miens, et non des moindres, dans la foi chrétienne ». Il faut se rappeler l’histoire familiale douloureuse du jeune Jean-Luc qui avait vu sa mère, paroissienne fervente, chassée sans ménagement par des prêtres après son divorce. Il s'en était confié à La Vie pendant la campagne présidentielle de 2012 (voir mon post sur cette interview).
Ses premières lignes sont à l'honneur du pontife, et de son pays natal. « J’aime l’Argentine, écrit le fondateur du Parti de gauche. Je m’honore de tenir d’elle l’unique décoration qui m’ait été décernée. C’est le président Raoul Alphonsin qui me l’a attribuée du fait de mon engagement pour la libération de plusieurs de vos compatriotes. Celles-ci étaient persécutées par les militaires factieux qui avaient soumis votre pays à leur dictature abominable ». Le militant sait que le jésuite, ayant eu des responsabilités assez jeune comme supérieur national de sa compagnie, s'est comporté assez honorablement durant les sombres années 70.
Puis Jean-Luc Mélenchon fait l'éloge du pape social. « J’ai entendu avec faveur votre franche critique de la domination de la société par l’argent. Votre adresse aux puissants de la terre et votre engagement par des paroles aimantes à l’égard des pauvres qui luttent pour leur dignité ont retenu mon attention scrupuleuse. J’y ai entendu l’écho de la théologie de la libération d’illustre influence ».
On se demande à ce stade de la lecture quand l'ancien candidat à la présidence de la République va lancer les anathèmes dont il est coutumier. Cela va venir. « Monsieur le pape, je ne veux pas réduire votre conviction à un seul de ses aspects. Mais je ne saurai m’adresser à vous sans vous dire comme nous sommes nombreux à être blessés par certaines de vos options négatives ». Et de lister les actions du pape contre le droit à l’avortement, l’usage des contraceptifs, le droit de choisir « d’éteindre la lumière » de sa vie, et le droit au mariage civil des personnes de même sexe.
Le militant avance un argument qui ne peut laisser indifférent. « Que les croyants chrétiens y soient hostiles et s’y refusent, je l’entends bien. Le cas échéant, je ferai tout pour leur permettre de ne pas se voir imposer le choix contraire. Mais pourquoi vouloir imposer le leur à tous les autres ? » Autrement dit quelques lignes plus loin : « L’idée de placer la loi sous la nécessité d’être conforme au dogme est une voie périlleuse pour nos sociétés et pleine de violences pour les personnes. »
On sent pointer le couplet sur la laïcité. Le voici justement. Avec un évocation toute mélenchonienne de la « loi de séparation des Églises et de l’État » (l’appellation est exacte, et c'est suffisamment rare pour le signaler). De celle-ci, le député européen retient deux points. « Elle garantit à chacun la liberté absolue de pratiquer ou de ne pas pratiquer le culte ». Ce dont tout le monde convient. « Elle (la loi de 1905) interdit absolument que la religion et la politique soient mêlées dans la vie des institutions qui doivent rester ouvertes à tous ». Ce qui est une invention des militants laïcs. La loi n'a jamais interdit aux religions de jouer leur partie dans le jeu politique, au titre d'un lobby au milieu des autres.
Il réserve pour la fin de la missive son attaque principale : la venue de François devant les institutions européennes, vécue comme une « humiliation ». « Monsieur le pape, votre place à la tribune du Parlement ne peut s’accepter dans le cadre d’une session officielle de notre assemblée. Cette impossibilité résulte de notre définition républicaine d’une assemblée de députés du peuple souverain. Vous avez la sagesse et la culture qui auraient dû vous permettre de prévoir que nombre d’entre nous seraient humiliés par un tel manquement aux règles de la laïcité indispensable d’un Parlement européen lorsqu’il inclut notamment des Français dont la loi interdit ce genre de confusion ». Une vision bien franco-française de l'espace européen.
De fait, aucun pontife de passage à Paris ne s'est avisé à prendre la parole au Palais Bourbon ou devant le Sénat. Mais le pape ne vient pas ici au pays de Voltaire. Il faudra attendre l'an prochain pour cela. Et l'on espère alors un Mélenchon en grande forme
En pied de nez final – à moins qu'il ne s'agisse de sauver son âme pécheresse (la colère comptant parmi les sept péchés capitaux) -, le camarade Mélanchon renouvelle courtoisement « ses vœux de bienvenue dans une ville française ». Avant son ultime pique : « J’aurai préféré que vous y soyez venu faire une messe dans la sublime cathédrale de Strasbourg, ce qui est dans vos devoirs, plutôt qu’un discours à notre tribune humaine, ce qui contrarie les nôtres ».
Devant le style réel de Jean-Luc Mélenchon, ses combats légitimes et ses outrances, ses envolées et ses approximations, l'observateur reste perplexe. Qu'en sera-t-il dans quelques décennies lorsque nos dirigeants, encore plus déchristianisés qu'aujourd'hui, ne pourront même plus attaquer une tradition qu'ils ne connaîtront que par quelques livres d'histoire ? On regrettera alors ce bouffe-curé utile de Mélenchon.