En préférant les protestataires aux jeunes, une certaine presse est passé à côté du rassemblement madrilène.
Dans le bilan des JMJ de Madrid, se dégagent plusieurs vainqueurs. Les organisateurs ont réuni la foule attendue et tout le monde reconnaît la bonne tenue de la rencontre et la satisfaction des jeunes. Le pape maîtrise de mieux en mieux ces bains de foules estivaux et a esquivé avec finesse les dossiers qui fâchent entre le gouvernement espagnol et l’Église nationale. Quant aux « méchants » laïcs, ils ont réussi à faire entendre leur petite voix et ont profité de la caisse de résonance de l'événement au-delà de leurs espérances. Il sera temps demain de voir si l'édition 2011 des JMJ profite à l’Église catholique et pour quel projet.
Du côté des perdants, un groupe apparaît, et ce n'est pas une première en pareil cas : la caste des journalistes. On ne parlera pas ici de la presse catholique très mobilisée - 6 reporters pour La Croix - et qui a fait son travail. Leurs collègues de la presse non-religieuse ont globalement failli. Journaux, radios, télés et agences (exemple avec l'AFP) ont relayé de manière surréaliste les manifestations d'opposants à la venue du pape. Comment peut-on braquer ses caméras sur une souris lorsqu'on fait face à une horde d'éléphants ? Les raisons sont plurielles.
1-L'incompétence
Dans nombre de rédactions, aucun journaliste n'est spécialisé dans le fait religieux (1). Personne ne prépare, personne ne se forme et, à l'arrivée, personne ne comprend le phénomène social, complexe certes, mais majeur du religieux. On sait expliquer en long et en large la crise financière ou les subtilités du système judiciaire américain jugeant DSK. On a droit à des duos de sommités à chaque match de foot. Mais un journaliste capable d'expliquer ce qui pousse un jeune de 22 ans à partir 15 jours en Espagne pour prier et affermir sa foi avec des collègues du monde entier, point. A fortiori en août.
Du coup, les rédactions se sont contentées des dépêches de l'AFP, écrites par le journaliste de service, qui ne fait pas toujours la différence entre une mitre et un képi. Du coup, ressortent les bons vieux poncifs : les JMJ coûtent de l'argent public (à un pays ruiné) et blesse la laïcité (sujet que 2 % des journalistes comprennent dans le contexte français, alors en Espagne)... Et quand un grain de sable fait grincer l'organisation, les rédacteurs en chef flairent l'aubaine. Voici comment la manif de laïcs, apparemment facile à comprendre, passe de l'encadré de bas de page au titre principal. Et dans les flash radios, il n'est plus question que des slogans antipapes. Au final, le lecteur-auditeur n'est pas plus avancé sur les motivations spirituelles des JMJistes.
2-L'attrait du neuf
Les JMJ sont devenues dans le jargon professionnel un « marronnier ». Organisé tous les deux ans, ce genre d’événement tant à devenir routinier. Comme la production de muguet le 1er mai ou les embouteillages le 13 juillet au soir, il faut en parler mais le sujet n'excite guère l'appétit de nouveauté de la presse. Aussi, l'idée de voir des foules (pourtant considérables) autour du pape a pu paraître à certains comme un non-événement, du déjà-vu. A condition de ne pas se poser trop de questions sur un phénomène pourtant singulier à l'heure de la fin des appartenances et de la désertion des lieux de cultes par les jeunes générations...
Des pancartes « Non au pape » ont réveillé l'attrait du scandale et permis de « traiter le sujet »... en passant à côté. Et l'on retrouve un grand principe de la presse : un train qui déraille sera toujours plus attirant que si il était arrivé à l'heure ou les efforts de la SNCF pour la ponctualité.
3-La mauvaise foi
Brocarder le pape est un sport très pratiqué dans les rédactions. Quoi qu'il dise ou fasse - et Dieu sait qu'il a souvent dit ou fait des bêtises -, il est de bon ton de critiquer Benoît XVI, chef d'une tribu hautement ringarde. On peut comprendre que l’exégèse des encycliques soit un genre un peu ardu à l'heure du roi twitter. Mais sur la question du financement de la fête madrilène, il y avait mieux à faire que de relayer – sans enquêter – les propos des opposants. Quoi que les organisateurs aient pu dire et répéter sur le financement de la rencontre, assuré par la participation des jeunes et le mécénat. Est-il vraiment scandaleux que les jeunes catholiques aient occupé durant une semaine l'espace public de la capitale espagnole, bénéficiant réductions sur les tickets de métros ?
Jamais la presse ne fera le même reproche aux communes de notre hexagone qui se saignent pour accueillir l'arrivée ou le départ d'une étape de Tour de France, en bloquant toute la ville. Le passage de 200 coureurs et des milliers de suiveurs ne fait pourtant pas plus l'unanimité qu'un rassemblement religieux.
Quant aux indignados, leur ennemi n'a jamais été le pape ou les JMJ mais les choix budgétaires d'un gouvernement. Le désarroi de la jeunesse espagnole mérite le respect et le pape a évoqué la question dans l'avion vers Madrid.
Ne pas faire le distinguo entre leur combat et celui des militants d'une laïcité (conflictuelle en Espagne) relève de la faute professionnelle. Mais quand on peut « taper » sur le pape, on ne s'arrête pas à ces subtilités.
En d'autres temps, nous aurions développé dans un tel exposé un joli chapitre sur l'incompétence légendaire de l’Église catholique à communiquer auprès des médias. On ne fournira pas ici cette excuse à l'indigence journalistique. Car le bureau de presse mis en place par l’Église de France était bien en place, avant et pendant les JMJ, sur internet comme à Madrid, pour aider les reporters à raconter ce qui se passait et non les à-côtés. Des efforts mal récompensés.
Bien sûr, les médias ici en cause ont peu apprécié ces critiques. Invité par Europe 1 lundi 22 août (2) pour évoquer la « paranoïa des cathos », le blogueur Koz a pu apprécier, à ses dépens, l'agressivité d'interlocuteurs dont la bêtise n'avait d'égal que l'incompétence. Ne pas laisser parler plus de deux phrases le dépositaire d'une idée n'est, hélas, plus l'apanage des talk-show télévisés de Ruquier et compagnie...
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Notamment pour les radios et les télés. La presse écrite parisienne – Le Figaro, Le Monde, Le Parisien – conserve dans ses rangs un(e) spécialiste (par toujours à temps plein) capable d'éviter de telle dérive.
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Le sujet occupe le dernier quart d'heure de l'émission.